Mécanismes des nausées et vomissements
Pendant longtemps on a parlé de centre unique des vomissements. Actuellement, on considère que le contrôle des nausées-vomissements repose sur l’organisation de différentes zones neuronales interconnectées au niveau du rhombencéphale, et désignées par le terme de central pattern generator (CPG).
- Activation du CPG par deux voies principales
- les neurones vagaux abdominaux et
- les neurones issus de l’area postrema, au niveau de la zone gâchette située dans le plancher du 4ème ventricule (chemoreceptive trigger zone, CTZ).
Il existe au niveau des fibres afférentes du X des récepteurs à la sérotonine (5-HT ou 5-hydroxytryptophane), aux neurokinines (NK1) et à la cholécystokinine.
Les cytotoxiques vont entraîner une libération de ses médiateurs par les cellules entérochromaffines de l’intestin grêle supérieur. Ces médiateurs vont, par le biais de leur récepteur respectif, activer le noyau du tractus solitaire qui lui-même active le CPG.
- Prédominance de ce mécanisme à la phase aiguë des nausées-vomissements chimio induits reposant essentiellement sur les récepteurs 5-HT3.
- Au niveau central, les anticancéreux vont pouvoir traverser la barrière hémato-méningée qui est poreuse au niveau de l’area postrema et stimuler directement les neurones de la CTZ. La sérotonine, la dopamine (récepteur de type 2) et la substance P (active les récepteurs NK1) sont les principaux médiateurs impliqués.
- Autres sources des nausées-vomissements chimio-induits situées au niveau du système limbique (situations, émotions…)
Revue du praticien vol 56, 30 novembre 2006 S. Oudard
Etiologies des nausées-vomissements en cancérologie
- Iatrogènes
- Chimiothérapie
- Opioïdes, tramadol
- Digoxine
- Tricycliques
- Phénothiazines
- Fer oral
- Anti-aromasines
- Radiothérapie abdominale, pelvienne, cérébrale
- Anesthésie
- Métaboliques
- hypercalcémie, hyponatrémie
- décompensation diabétique
- Insuffisance rénale, surrénalienne et hépatique
- Infectieuses
- Méningite
- Péritonite
- Digestives
- Stase gastrique
- Occlusion, constipation
- candidose oropharyngée
- Neurologiques
- HTIC, métastases cérébrales
- méningite carcinomateuse
- Psychologiques
- anxiété
Nausées-vomissements chimio-induits (NVCI)
- Trois types
- NVCI anticipés : 24 à 48 heures avant l’administration de la chimiothérapie. L’anxiété et la sévérité des vomissements lors des cures précédentes jouent alors un rôle essentiel.
- NVCI aigus : dans les 24 premières heures de la chimiothérapie.
- NVCI retardés : au-delà des 24 premières
- Deux questions avant de choisir un traitement antiémétique
- Quel est le pouvoir émétogène de la chimiothérapie prescrite ?
- Quels sont les facteurs de risque individuels de vomissements ?
=> Quelles sont les chimiothérapies émétisantes ?
- En cas de poly chimiothérapie, la chimiothérapie la plus émétisante définit le pouvoir éméti-sant du protocole.
=> Facteurs de risque individuel de NV
- Sexe féminin
- Age < 55 ans
- Sujet anxieux
- Antécédents de mal de transport
- Vomissements gravidiques
- Vomissements lors des chimiothérapies antérieures
Antiémétiques disponibles
La liste des principaux médicaments utilisables (annexe n°1) dans la prise en charge des NVCI et leurs règles de prescription sont présentées en annexe à la fin du chapitre.
- Quatre grandes classes médicamenteuses
- les anti-dopaminergiques (comprenant les anti-émétiques classiques type primpéran®, vogalène® et les neuroleptiques),
- les sétrons,
- les anti-NK1
- les corticoïdes.
- Les anti-D2 : premiers antiémétiques utilisés
- Utilisés comme médicament de secours compte tenu de leur faible efficacité et leur index thérapeutique restreint.
- Médicament de référence : l’alizapride (plitican®). En pratique, il est peu prescrit car non remboursé à domicile. On utilise plutôt le Métoclopramide (primperan®)
- En cas d’échec, des neuroleptiques peuvent être utilisés. Dans ce cas, arrêt des autres anti D2 (primpéran®, vogalène®…). Le plus souvent, c’est du largactil ou de l’haldol qui sont prescrits (une ampoule IV au PSE pendant l’hospitalisation puis relais per os à la sortie pour le largactil®, per ou SC pour l’haldol®)
- Plus récemment, l’olanzapine (Zyprexa®) a démontré son efficacité dans plusieurs essais cliniques.
Pas l’AMM dans cette indication mais fait maintenant partie des recommandations de l’AFSOS.
- Les sétrons
- Ont considérablement amélioré la prise en charge des NVCI.
- Ne sont efficaces qu’à la phase aigüe donc pas d’intérêt à les poursuivre après la fin de la chimiothérapie.
- Administration avant la chimiothérapie et peuvent être renouvelés 12 heures après.
- Principaux effets secondaires des sétrons : céphalées et constipation.
- Efficacité équivalente en IV ou en per os.
- Disponibles en ville mais doivent être prescrits sur une ordonnance de médicament d’exception.
- Le palonosétron ou aloxi® a une demie vie plus longue, il s’agit du seul sétron à avoir une efficacité sur les NVCI retardés. Cependant, son prix et les modalités de son remboursement ne sont pas fixés en France où il est donc très peu prescrit.
- Les corticoïdes
- Mécanisme d’action non éclairci, mais sont efficaces aussi bien en phase aigue que retardée.
- La dexaméthasone (12 mg IV au J1, 8 mg per os J2-J3 ou J2-J3-J4 en cas de chimiothérapie hautement émétisante) est le corticoïde pour lequel on a le plus de données dans la littérature. Cependant, il n’y a pas de supériorité démontrée de la déxaméthasone par rapport aux autres corticoïdes à posologie équivalente
- Il est recommandé une prise unique quotidienne.
- Equivalence des posologies des corticoïdes
Dexaméthasone | 12 mg | 8 mg |
Méthylprédnisolone | 64 mg | 44 mg |
Prédnisone | 80 mg | 55 mg |
Hydrocortisone | 320 mg | 220 mg |
- Les anti-NK1 les plus récents.
- Un seul médicament disponible : l’aprépitant (Emend®)
- Efficace en prévention des NVCI aigus et retardés.
- Principaux effets secondaires : hoquet, troubles dyspeptiques et fatigue.
- Doivent être prescrits sur une ordonnance de médicament d’exception.
Attention nombreuses interactions médicamenteuses et utilisation contre-indiquée avec l’ifosfamide (La liste des médicaments interagissant avec l’emend est présentée en annexe n°3 à la fin du chapitre).
- Autres
- Un traitement anxiolytique est fortement conseillé, notamment en cas de NVCI anticipatoires.
Choix du traitement antiémétique en fonction de la chimiothérapie
- Cas particuliers
- Chimiothérapie s’étalant sur plusieurs jours
- Chaque jour le patient reçoit l’association d’antiémétique prophylactique de la phase aigue, adaptée au risque émétogène de la chimiothérapie administrée ce jour-là.
- Si la prophylaxie comprend de l’aprépitant : la posologie de la première prise est de 125 mg, puis les jours suivants de 80 mg par prise à poursuivre deux jours après la fin de la chimiothérapie.
- Chimiothérapie continue :
- En principe chimiothérapie peu émétisante
- Un traitement systématique par anti D2 est recommandé (une heure avant la chimiothérapie). En cas d’inefficacité, on choisira un sétron une heure avant la chimiothérapie.
- Utilisation de corticoïde au long cours non conseillée.
- Chimiothérapie s’étalant sur plusieurs jours
Pour les chimiothérapies hebdomadaires : pas d’emend
Adaptation du traitement antiémétique à la cure suivante si échec du traitement prophylactique initiale
Traitement de secours en cas de NVCI malgré une prophylaxie bien conduite
- En cours de chimiothérapie
- Majorer la dose de sétron (jusqu’à 32 mg mais risque d’allongement du QT et CI en cas de QT long congénital) – discuter le palonosétron
- Pas d’intérêt à renouveler les corticoïdes
- Anti D2 : Alizapride 2 à 4 amp de 50 mg en 15 min renouvelable deux fois
- Ou métoclopramide : 30 mg en 15 min (X2 si besoin)
- En cas d’échec : ajout de benzodiazépines
- Dans les 24 premières heures : sétron +/- andiD2 +/- BDZ
- Phase retardée : antiD2 ou Zyprexa en cas d’échec benzodiazépine
Principaux anti émétiques
Antagonistes de la dopamine : « antiémétiques classiques »
| ||
Dompréridone Motilium cp® Motilyo lyo® Motilium® buvable, Péridys® buvable (1 mg/ml seringue graduée poids)
|
1 à 2 cp 3 fois/j 1 à 2 lyocs 3 fois/j 2 à 4 càc 3 fois/j
| Dyskinésie due aux neurololeptiques
|
Méclopramide Primpéran® cp 10 mg Primpéran® sol buv 0,1% : 1 mg/ml soit 5 mg par c à café Primpéran® suppo 20 mg (10 mg enfant) Anausin® LP 15 mg Primpéran® amp 2 ml : 10 mg Délai : 10 à 15 min IM, 3 min IV
|
5 à 10 mg 3 fois/J 1 à 2 càc 3 fois/J
0,5 mg/kg par prise 3 à 4 fois/j 1 cp 1 à 2 fois/j 10 mg 1 à 3 fois/j
| Dyskinésies aux neuroleptiques
|
Métopimazine Vogalène® 15 mg gel Vogalène® 7,5 mg Lyoc Vogalib® 7,5 lyoc (sans prescription) Vogalène® 0,1% sol buv 1mg/ml (5mg par c à café) Vogalène® suppo sec 5 mg Vogalène® 10 mg/ml amp 1 ml Délai : 15 min IM, 3 min IV
|
1 gel 1 à 3 fois/j 2 lyoc 3 fois/j 5 à 10 mg 2 à 3 fois/j 5 à 10 mg 2 à 3 fois/j IV ou IM 5 à 10 mg 1 à 3 fois/j
| risque de glaucome par fermeture de l’angle
Risque de rétention aigue d’urine
|
Alizapride Plitican® cp 12 mg (non remb) Plitican® amp 2 ml : 50 mg Délai : 30 min
|
1 cp 2 à 4 fois/J IM ou IN 2 à 5 mg/kg/j
|
|
Sétrons ou antagonistes des récepteurs 5 HT3 : médicaments d’exception
| ||
Granisétron Kytril® cp 2 mg, cp 1 mg Kytril® 3mg/3ml
|
2 mg avant chimio ou 1 mg 1 heure avant et 12 heures après chimio 3 mg IVL 1 à 2 fois/j
| Céphalées, constipation
|
Ondansétron Zophren® cp 4 mg, cp 8 mg Zophren® lyoc à 4 ou 8 mg Zophren® suppo 16 mg Zophren® sirop 4 mg/5 ml mesure de 5 ml Zophren® 2mg/ml ( amp 8mg/mL ou 4 mg/ml)
|
8 mg 2 fois/j 8 mg 2 fois/ j 1 suppo/j 8 mg 2 fois/j 8 mg IVL 1 à 2 fois/j
| Céphalées, constipation
|
Dolasétron Anzemet IV 100 mg Anzemet 200 mg cp
|
100 mg IV 30 min avant chimio 200 mg en prise unique une heure avant chimio
|
|
Tropistéron Navoban 5 mg/5ml amp 5 mg/5 ml Navoban gel 5 mg
|
5 mg en IVL 15 à 30 min avant chimio 5 mg/jour
|
|
Antagonistes des récepteurs NK1 de la substance P : médicaments d’exception
| ||
Aprépitant Emend® kit (1 gel 125 mg, 2 gel 80 mg) ou 5 gel 125 mg ou 2 ou 5 gel 80 mg
|
J1 = 125 mg (1 heure avant chimio) J2-J3 = 80 mg
| Hoquet, céphalées, constipation
|
Anti-dopaminergiques : Neuroleptiques
| ||
Chlorpromazine Largactil® cp 25 mg, 50 mg, Goutte 4% :1 mg/goutte Amp 5 ml :5 mg IM ou IV
|
25 mg/ jour en moyenne | Risque de glaucome par fermeture de l’angle Risque de rétention aigue d’urine |
Halopéridol Haldol® cp 1 mg, cp 5 mg Gouttes 2mg/ml (10 gouttes : 1 mg) Amp 1ml : 5 mgIM ou IV
|
5 mg/ jour en moyenne | CI en IV du fait de trouble du rythme
|
Olanzapine Zyprexa® cp 5 mg, 7,5 mg ou 10 mg Zyprexa velotab, cp orodispersibles 5 ou 10 mg
|
Des doses de 5 ou 10 mg en une seule prise par jour ont été testées
| Prévenir le patient du caractère hors AMM de la prescription Risque de glaucome par fermeture de l’angle
|
Emend et interactions
Références bibliographiques
Aapro et al. ; Annal Oncol 2006
Basch et al. J Clin Oncol 2011; 29:4189-4198
Bonjak SM et al. ; Curr Opin Support Palliat Care. 2016 Jun;10(2):180-8
Bossaer JB. ; N Engl J Med. 2016 Oct 6;375(14):1395-1396
Chiu L et al. ; Ann Palliat Med. 2016 Jul;5(3):172-8.
Durand JP et al. Bull Cancer 2009; 96(10) : 951-960
Eisenberg et al. Cancer 2003
Einhorm LH et al., Support care cancer 2017; Jan (1): 303-308 (ESMO guidelines)
Gralla et al. Annal Oncol 2003
Herrtesdt J et al., Annals of Oncology 2007; 18 (Supplement 2): i83–i85
Herrstedt J et al., Support care Cancer 2017 Jan; 25(1): 85-92 (ESMO guidelines)
Hesketh PJ. Et al., N Engl J Med 2008; 358: 2482-94
Hesketh PJ et al., JCO 2016; 34(4): 381-388 (ASCO guidelines)
Jordan K et al. ; Support Care Cancer 2017 Jan 25(1) : 271-275
Kris MG et al. J Clin Oncol 2006 ; 24 : 2932-2947
Lévy et al. La revue du paticien 2006 ; 56 : 2015-2019
Malossitis et al. ; Support Care Cancer (2017) 25:267-269 (ESMO guidelines)
Navary et al. NEJM 2016 Oct ; 375(14) : 1396/ 2016 Jul 14;375(2):134-42
Navary et al. ; J Community Support Oncol. 2016 Apr; 14(4):141-7.
Nakagashi M et al.; Support Care Cancer. 2017 Feb; 25(2):607-613
NCCN 2016 National Comprehensive Cancer Netwok Clinical Practice Guidelines in OncologyAntiemesisVI.http://www.ncn.org/profesionals/physician_gls/PDF/antiemesis.pdf
Odosa D et al. J Clin Oncol 1997; 15 : 116-123
Olver I et al.; Support care Cancer 2017 Janv ; 25(1) : 297-301 (ESMO guidelines)
Pollera CF et al. Cancer 1989; 64 : 1117-1122
Qin et al. ; J Clin Oncol. 2015 Oct 10;33(29_suppl):176
Rojas et al. Eur J Pharmacol 2010
Roila F et al. Ann Oncol 2006 ; 17 : 20-28
Saito et al. ; Annal Oncol 2009
Schwartzberg L. et al. J Support Oncol 2006; 4 : 3-8
Walsch et al., Support Care Cancer (2017) 25:333 -340 (ESMO guidelines)
Yan et al. ; Br J Clin Pharmacol. 2017 Jan 23.