Prise en compte de la dose dans la personnalisation des anti-CDK4/6

Rédigé le 08/02/2024
Pr Antonin Schmitt


Depuis de nombreuses années, en oncologie, l’intérêt des biomarqueurs est bien établi pour la personnalisation des traitements (mutations d’EGFR, expression de PD-L1…)[i]. Malheureusement, en dépit de la présence de ces biomarqueurs, les traitements ne sont pas toujours aussi efficaces que ce qui peut être attendu. Alors fréquemment, les laboratoires ou les équipes de recherche se penchent sur la détermination de marqueurs prédictifs (marqueurs biologiques, scores…) de la réponse à ces traitements avec un succès plus ou moins évidents. Mais bien souvent, la juste exposition plasmatique du patient n’est pas prise en compte. En effet, parmi les nombreuses explications possibles à une modeste efficacité des traitements contre le cancer, l’une des plus logiques est l’absence de personnalisation de la dose, entraînant une mauvaise exposition plasmatique. Or, une même dose de médicament chez deux patients différents ne va pas entraîner la même exposition, du fait de différences en termes d’absorption (lorsque le médicament est pris par une autre voie que par voie iv), de métabolisme ou d’excrétion. De plus, la personnalisation de la dose permet également de limiter le risque de toxicité lié à une trop forte exposition.

Cette nécessité de personnalisation de la dose a très tôt été comprise pour les cytotoxiques, avec, bien souvent de manière empirique, des adaptations en fonction du poids ou de la surface corporelle. Le rationnel pharmacocinétique derrière cette stratégie est de dire que plus le poids (ou la surface corporelle) augmente, plus les capacités d’élimination (la clairance) augmente. Donc, pour avoir une même exposition (aire sous la courbe d’évolution des concentrations en fonction du temps : AUC), il faut augmenter la dose, car l’AUC est le rapport de la dose sur la clairance. Mais cette relation entre poids et clairance n’est pas toujours vraie. Certains traitements, comme le carboplatine, ont bénéficié de stratégies d’adaptation de dose plus poussées, basée sur des analyses de pharmacocinétique de population (PKpop) avec une dose en fonction d’une exposition cible et d’une clairance d’élimination individualisée (déterminée à partir de la clairance de la créatinine). Mais qu’en est-il pour les thérapies orales et en particulier pour les anti-CDK4/6 ?

La plupart des thérapies orales anticancéreuses, et c’est particulièrement vrai pour les anti-CDK4/6, s’administrent en dose unique : toutes les patientes reçoivent la même dose ; ce qui reviendrait à dire que toutes les patientes ont la même clairance (pour avoir la même exposition). Or, la littérature nous montre qu’il existe une variabilité assez importante pour la clairance des différents anti-CDK4/6. Des études de PKpop ont montré que cette variabilité pouvait s’expliquer par l’existence de caractéristiques physiologiques propres aux patients (par exemple, les phosphatases alcalines (PAL) et la clairance de la créatinine expliquent une partie de la variabilité de la clairance d’élimination du palbociclib[ii]) ou la présence d’interactions médicamenteuses. La caractérisation de ces sources de variabilités devrait motiver une adaptation de doses dans ces situations. Ces études ont aussi mis en évidence le fait que l’âge, par exemple, n’explique en rien les variabilités de clairance[iii] et donc qu’il n’y a pas de risque de surexposition chez les patients âgés (et donc pas de nécessité de diminuer les doses).

L’un des points qui reste encore à clarifier est la mise en évidence de relations entre l’exposition et la toxicité ou l’efficacité (relations PK/PD) pour l’ensemble des anti-CDK4/6. C’est pour le palbociclib que les travaux sont les plus avancés, avec au moins 2 modèles qui montrent le lien entre exposition en palbocilcib et risque de neutropénie, avec une concentration résiduelle cible de 100 µg/L à ne pas dépasser pour éviter de développer des neutropénies sévèresii,[iv]. Il n’existe pas encore de tels modèles pour l’abémaciclib et le ribociclib. Cependant, le fait que, en présence de toxicités, les RCP de ces molécules proposent une diminution des doses suggère une relation entre l’exposition et la toxicité. Pour ce qui est de l’efficacité, les relations entre exposition et biomarqueurs sont peu concluantes et aucun travail n’a été publié sur les relations entre exposition et survie. Cependant, là aussi, le fait que, pour certains anti-CDK4/6, chez les patients présentant des toxicités, la survie n’est pas impactée par les diminutions de dose donne à penser que des relations PK/efficacité existent.

Il serait donc nécessaire de collecter des données de vie réelle d’exposition, de toxicité et d’efficacité pour cette famille de traitements, afin de pouvoir caractériser ces différentes sources de variabilité et relations PK/PD. C’est le projet porté par STARTER-BFC, une plateforme de Suivi Thérapeutique Pharmacologique des traitements contre le cancer au sein de la région Bourgogne – Franche-Comté. Les patients de la région peuvent bénéficier de dosages plasmatiques d’une vingtaine de thérapies orales pour aider les oncologues à adapter les doses. Ces données de routine ont aussi pour objectif de mieux comprendre les relations PK/PD de ces traitements.

 

[ii] Marouille AL, Petit E, Kaderbhaï C, Desmoulins I, Hennequin A, Mayeur D, Fumet JD, Ladoire S, Tharin Z, Ayati S, Ilie S, Royer B, Schmitt A. Pharmacokinetic/Pharmacodynamic Model of Neutropenia in Real-Life Palbociclib-Treated Patients. Pharmaceutics. 2021 Oct 16;13(10):1708. doi: 10.3390/pharmaceutics13101708. PMID: 34684001; PMCID: PMC8537267.

[iii] Chigutsa E, Kambhampati SRP, Karen Sykes A, Posada MM, van der Walt JS, Turner PK. Development and Application of a Mechanistic Population Modeling Approach to Describe Abemaciclib Pharmacokinetics. CPT Pharmacometrics Syst Pharmacol. 2020 Sep;9(9):523-533. doi: 10.1002/psp4.12544. Epub 2020 Aug 13. PMID: 32683787; PMCID: PMC7499187.

[iv] Courlet P, Cardoso E, Bandiera C, Stravodimou A, Zurcher JP, Chtioui H, Locatelli I, Decosterd LA, Darnaud L, Blanchet B, Alexandre J, Wagner AD, Zaman K, Schneider MP, Guidi M, Csajka C. Population Pharmacokinetics of Palbociclib and Its Correlation with Clinical Efficacy and Safety in Patients with Advanced Breast Cancer. Pharmaceutics. 2022 Jun 21;14(7):1317. doi: 10.3390/pharmaceutics14071317. PMID: 35890213; PMCID: PMC9322950.

 

En cas de questions sur cette thématique ou les dosages, n’hésitez pas à contacter Antonin Schmitt (aschmitt(a)cgfl.fr).


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