Thrombose et cancer


Sont présentés en annexes à la fin du chapitre la conduite à tenir en cas de récidive de thrombose sous traitement anticoagulant, les interactions médicamenteuses à prendre en considération en oncologie, la surveillance des plaquettes sous HBPM et HNF, la liste des principales HBPM et HNF.

La thrombose est un problème majeur en cancérologie.

Incidence de la MTE en cancérologie 4 à 6 fois plus élevée que dans la population générale. Association entre la survenue d’une complication thromboembolique et un pronostic plus péjoratif.

Médicaments utilisés en cancérologie favorisant le risque de thrombose

  • Hormonothérapie :
    • Tamoxifène
    • Mégestrol : mégace®
    • Estramustine : estracyt®
  • Chimiothérapie : 5FU et capécitabine
  • Thérapie ciblée : thalidomide, anti angiogéniques : bévacizumab ou avastin®
  • EPO: eprex®®®® , aranesp, neorecormon, binocrit

Neuroleptiques d’ancienne génération

Signes cliniques

  • Signes de TVP
    • asymptomatique
    • une douleur, un oedème, un aspect inflammatoire, une perte du ballant du mollet ou du membre atteint, parfois un simple fébricule.

Compte tenu de la fréquence élevée des TVP en cancérologie et du caractère parfois trompeur de la symptomatologie, demander un doppler veineux au moindre doute.

  • Signes d’EP
    • Douleur thoracique, dyspnée, toux, hémoptysies, tachycardie, signes de coeur droit, fébricule.
    • Anomalies ECG (S1Q3, bloc de branche droit, déviation axiale droite, ACFA),

Examens complémentaires

  • Echo doppler veineux en cas de suspicion de TVP.
  • En cas de suspicion d’embolie pulmonaire: Angioscanner et/ou scintigraphie pulmonaire de perfusion et de ventilation et permettront le plus souvent de faire le diagnostic. L’échographie cardiaque retrouve des signes de coeur droit.
  • Biologie : NFP, ionogramme avec urée, créatinine, TP, TCA, GDS si suspicion d’EP ( effet shunt avec hypoxie + hypocapnie )
  • En cas de douleur thoracique, penser à la radio pulmonaire pouvant montrer l’apparition d’un épanchement pleural, une atélectasie, un infarctus, une surélévation de la coupole diaphragmatique qui devront alerter le clinicien.

A noter que la radio pulmonaire peut être strictement normale.

  • Quid des d-dimères : peu d’intérêt en cancérologie, car fréquemment élevés du fait de la maladie néoplasique sous-jacente.

Traitement

  • A la phase initiale (les 10 1ers jours)
    • HBPM recommandées à la phase initiale. Pas de relais précoce par AVK (majoration du risque de récidive et du risque hémorragique)
    • L’héparine non fractionnée peut également être prescrite par voie SC ou IV en conti-nue, mais compte tenu d’une plus mauvaise commodité d’emploi, on recommande les HBPM en première intention. De plus deux méta-analyses récentes (Alk EA cancer 2008- Cochrane Databse Syst Rev 2014) ne montrent pas de différence en terme de rechute mais une mortalité plus faible sous HBPM versus HNF
    • Fondaparinux (Arixtra®) : pas de différence HNF en terme de mortalité, rechute MTE et hémorragique (Alk EA Cochrane Syst database Syst Rec 2014) et peut donc être pres-crit à la phase initiale (niveau de preuve 2D)
  • Quel traitement de maintenance (10ème jour-3ème mois)
    • Maintien de l’HBPM à visée curative recommandé pour les 3 1ers mois: bénéfice avec incidence moindre des TVP si maintien HBPM sans majoration du risque hémorragique chez les patients suivis pour un cancer. Au-delà du 3ème mois, il est préconisé selon la tolérance soit la poursuite de l’HBPM à visée curative (jusqu’au 6ème mois) soit un relais par AVK (jusqu’au 6ème mois)

Au-delà de 6 mois, le maintien et les modalités du traitement anticoagulant seront à rediscuter en fonction de l’évolution de la maladie sous-jacente, des souhaits du patient et de la tolérance du traitement anti coagulant.

3 HBPM ont été testées en cancérologie pour le traitement de la MTE : la Tinzaparine sodique (Innohep® à 175 UI/kg en une dose unique journalière), la daltéparine sodique (Fragmine® 200 UI/kg/ jour pendant un mois puis 150 UI/kg/ jour) et l’enoxaparine sodique (lovenox®). Seules la tinzaparine et la daltaparine ont une AMM dans cette indication.

  • Contention (classe 3) pour une durée minimale de 2 ans.
  • Et le stent cave ?
    • A discuter en cas de
      • Contre-indication au traitement anticoagulant. Le traitement doit être repris après pose du stent si la contre-indication aux anticoagulants est levée.
      • Récidive sous traitement anticoagulant (poursuite du traitement anticoagulant malgré la pose du filtre cave). Le traitement anticoagulant doit être poursuivi malgré la pose du filtre.

Cas particuliers

  • Insuffisance rénale
    • Clairance ≥ 30 ml/min, utilisation des HBPM avec surveillance de l’activité anti-Xa.
    • Clairance <30 : recours aux HNF avec un relais précoce par AVK.

La durée minimum de traitement sera de 3 mois.

Concernant le fondaparinux, il est contre indiqué pour une clairance < 20 ml/min. Entre 20 et 50 ml/min de clairance, la posologie de 2,5 mg (indication préventive ou thrombose veineuse superficielle sans Thrombose veineuse profonde associée) doit être diminuée à 1,5 mg/jour. A plus forte dose, il est contre indiqué comme les HBPM pour une clairance < 30 ml/min.

Attention : existence de nombreuses interactions médicamenteuses entre les médicaments couramment prescrit en cancérologie et les AVK.

Interactions médicamenteuses – AVK et cancérologie :

  • Capécitabine (Xéloda) et 5FU
  • Tamoxifène
  • AINS et corticoïdes
  • Tarcéva et warfarine (coumadine)
  • Fluconazone, itraconazole, kétoconazole, Econazole
  • Paroxétine (déroxat)
  • Tramadol
  • Sulfamides hypoglycémiants
  • Existence de métastases cérébrales
    • L’atteinte cérébrale n’est pas une contre-indication en soi au traitement anti coagulant
    • Sont des contre-indications : la chirurgie cérébrale de moins de 1 mois, la métastase cérébrale hémorragique.
    • Traitement identique pour un patient porteur d’une maladie cérébrale et pour celui qui en est indemne.

Ce sont les HBPM qui sont recommandées.

Durée de traitement

  • Durée optimale de traitement : 3 à 6 mois par HBPM.
  • Au-delà de 6 mois :
    • 1er évènement thromboembolique et maladie cancéreuse en rémission ou stabilisée et non traitée : arrêt du traitement anticoagulant après avis auprès de l’angiologue.
    • la maladie non contrôlée ou encore en cours de traitement : poursuite du traitement anticoagulant.
    • Là encore, les HBPM restent la référence, mais un relais par AVK est possible selon la tolérance du patient et les autres médications en cours.

Qui hospitaliser ? (reco AFSSAPS)

  • Si insuffisance rénale sévère (Clairance de la créatinine < 30 ml/min)
  • Patients avec un traitement anti coagulant et porteur d’une pathologie à risque hémorragique
  • TVP proximales avec syndrome obstructif sévère et localisation ilio-cave
  • En cas d’EP avec état de choc hémodynamique et instable
  • Contexte psycho-social, environnement géographique et/ou médical ne permettant pas une prise en charge optimale.

En ce qui concerne l’embolie pulmonaire, les recommandations actuelles sont basées sur le niveau de risque de l’EP. L’existence d’un choc ou d’une instabilité hémodynamique fait classer l’EP à risque élevée et sont des critères d’hospitalisation. Le score de PESI simplifié permet de classer les EP en EP de bas risque (score à 0) dont le traitement est ambulatoire, les EP en risque intermédiaire (score ≥ 1) qui doivent être hospitalisées. Le fait d’avoir un cancer fait classer l’EP en risque intermédiaire au minimum. Ainsi, théoriquement, toute EP en cancérologie devrait être hospitalisée. Chez un patient asymptomatique, cette indication est à rediscuter avec un médecin senior.

Surveillance

  • Dosage de l’activité anti-Xa, en cas de traitement curatif par HBPM si
    • Insuffisance rénale,
    • Récidive de TVP alors que le patient est déjà sous HBPM,
    • Manifestations hémorragiques, chez un sujet âgé ou chez un patient présentant un poids en dehors de la norme
  • Quand ?
    • HBPM en 2 injections, le dosage entre la 3 et la 4ème heure après la 3ème injection.
    • HBPM en 1 injection, le dosage entre la 4ème et la 6ème heure après la 2ème injection.
    • Zone thérapeutique : 0,5 à 1 antiXa mais dépend de la spécialité (se référer au Vidal).
    • Risque hémorragique si activité anti-Xa > 1,8UI/ml.
  • INR pour les AVK, avec INR cible à 2,5 (2-3).
  • Activité anti-Xa ou TCA pour les HNF
    • Entre deux injections d’HNF sous cutanées ou
    • 6 heures après le début du traitement par voie IV continue (PSE)
    • Et 4 à 6 heures après chaque modification de dose

Risque de TIH et surveillance des plaquettes ( Annexe n°1)

  • Définition : plaquettes < 150 giga/l ou diminution des plaquettes de 50% par rapport au chiffre de plaquettes à l’initiation du traitement
  • Phénomène relativement rare.

* Lors d’un traitement par héparines standards :

En raison du risque de TIH, une surveillance de la numération plaquettaire est nécessaire, quelles que soient l’indication du traitement et la posologie administrée.

Il est recommandé de pratiquer une numération plaquettaire avant le traitement puis deux fois par semaine pendant 21 jours. Au-delà de cette période, si un traitement prolongé s’avère nécessaire dans certains cas particuliers, le rythme de contrôle peut être porté à une fois par semaine, et cela jusqu’à l’arrêt du traitement.

* Lors d’un traitement par HBPM:

Dans un contexte chirurgical ou traumatique récent (dans les 3 mois) :

Une surveillance biologique systématique est nécessaire, que l’indication du traitement soit préventive ou curative, chez tous les patients, compte tenu de l’incidence des TIH > 0,1 %, voire > 1 %, en chirurgie et en traumatologie. Elle consiste à pratiquer une numération plaquettaire :

  • avant le traitement par HBPM ou au plus tard dans les 24 heures après l’instauration du traitement,
  • puis 2 fois par semaine pendant un mois (période de risque maximal),
  • puis une fois par semaine jusqu’à l’arrêt du traitement en cas de traitement prolongé.

En dehors d’un contexte chirurgical ou traumatique récent (dans les 3 mois) :

Une surveillance biologique systématique est nécessaire que l’indication du traitement soit préventive ou curative, selon les mêmes modalités qu’en chirurgie et en traumatologie (voir paragraphe ci-dessus) chez les patients :

  • ayant des antécédents d’exposition à l’HNF ou aux HBPM dans les 6 derniers mois, compte tenu de l’incidence des TIH > 0,1 %, voire > 1 %,
  • atteints de comorbidités importantes (cancer notamment), compte tenu de la gravité potentielle des TIH chez ces patients.

Dans les autres cas, compte tenu de l’incidence des TIH plus faible (< 0,1 %), la surveillance de la numération plaquettaire peut être réduite à :

  • une seule numération plaquettaire en début de traitement ou au plus tard dans les 24 heures après l’instauration du traitement ;
  • une numération plaquettaire en cas de manifestation clinique évocatrice de TIH (tout nouvel épisode thrombo-embolique artériel et/ou veineux, toute lésion cutanée douloureuse au site d’injection, toute manifestation allergique ou anaphylactoïde sous traitement). Le patient doit être informé de la possibilité de survenue de ces manifestations et de la nécessité de prévenir son médecin référent le cas échéant.

Et le fondaparinux (Arixtra ®)?

Le risque de TIH est plus faible qu’avec les HNF et les HBPM, la surveillance des plaquettes n’est donc pas recommandée avec le fondaparinux, ce qui est particulièrement tentant en cancérologie. Une surveillance clinique et de la fonction rénale est cependant préconisée.

Anticoagulants et thrombopénie chimio-induite ?

Les recommandations varient selon les sociétés savantes.

  • L’AFSSAPS recommande de transfuser les patients traités par chimiothérapie et sous anti-coagulants à partir d’un chiffre de plaquettes à 50 G/l.
  • Si Plaquettes maintenues ≥ 50 000 : HBPM à demi dose
  • Si Plaquettes < 20 000malgré transfusion : arrêt des anticoagulants
  • 20000 < plaquettes < 50 000 après transfusion : HBPM à demi dose
  • Les dernières recommandations internationales autorisent la poursuite du traitement anti coagulant lorsque les plaquettes sont supérieures à 50000 G/l et que le risque hémorragique est faible. En dessous de 50 G/L de plaquettes, l’adaptation ou l’arrêt du traitement anti coagulant sera à discuter au cas par cas.

Et les anti-Xa oraux ? (Annexe n°2)

Les NACO ne peuvent être recommandés actuellement en cancérologie. Les études réalisées ont inclus très peu de patients suivis pour un cancer et les NACO ont été comparés aux AVK (qui ne sont pas recommandés actuellement en cancérologie.) Un traitement par NACO nécessite une surveillance régulière de la fonction rénale et hépatique. De plus, il existe de nombreuses interactions médicamenteuses avec des traitements fréquents prescrits en cancérologie (cf tableau).

Remarques :

  • Thrombose veineuse distale
    • concerne les veines infra poplitées (veines tibiales postérieures et péronières, veines musculaires).
    • recommandations de l’HAS : traiter les TVP distales par anticoagulants à dose curative pendant 3 mois (au lieu de 6 semaines habituellement recommandées) en cas de pathologie cancéreuse.
  • Thrombose veineuse superficielle
    • Peu de données chez le sujet cancéreux.
    • Indication d’une contention élastique par bandage.
    • En cas d’extension de la thrombose à la jonction grande saphène-veines fémorales, un traitement anticoagulant à dose efficace ou un traitement chirurgical peuvent être discutés.
    • Dans le cas contraire, un traitement par HBPM ou fondaparinux à dose préventive pour 7 à 30 jours est recommandé par l’HAS.

Conduite à tenir en cas de récidive d’accident thrombo embolique



Consignes et surveillances plaquettes sous HBPM



NACO et interactions médicamenteuses



Principaux anticoagulants




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